Marina Da Silva Reports on the Event

For La  Revue d'études palestinienne

Le 29 novembre 1947, l'assemblée générale des Nations Unies votait le plan de partage de la Palestine qui proposait aux Palestiniens 47% du territoire de la Palestine du mandat britannique. Aujourd'hui, toutes les initiatives de paix sont bien en dessous et depuis les accords d'Oslo de 1993 qui prévoyaient la constitution d'un Etat palestinien dans un délai de cinq ans, le mieux que puissent espérer les Palestiniens est de récupérer 22% de leur territoire d'origine.

Ce soixantième anniversaire a été au cœur des Rencontres cinématographiques israélo-palestiniennes organisées, pour la troisième fois, au cinéma Les 3 Luxembourg à Paris, du 21 au 27 novembre 2007, à l'initiative de Janine Halbreich-Euvrard et d'Anne Vaugeois, et en présence de nombreux réalisateurs.

En partenariat avec le Monde diplomatique, une rencontre-débat quotidienne était organisée sur : le Mur, les initiatives de paix, Gaza, la situation en Irak, au Liban, les femmes.

Cette année, le cœur de la manifestation restait le conflit israélo-palestinien avec des films palestiniens et des films israéliens engagés, mais la situation régionale s'étant considérablement dégradée, le champ des projections s'élargissait avec toute une journée de films contre la guerre en Irak, des films libanais et des films syriens . D'autres encore, réalisés par des Européens, Américains, Australiens… apportaient « le regard de l'autre » sur le conflit.

Au total, une cinquantaine de longs métrages, moyens métrages, courts métrages, documentaires, fictions ont été montrés avec une présence très importante des réalisatrices - une douzaine - qui ont animé une journée de débat sur la situation des femmes qui a considérablement régressé au Proche-Orient et en Palestine en particulier. Elles payent le prix fort de la guerre et de l'occupation et l'on assiste à leur enfermement au sein de la cellule familiale avec une augmentation spectaculaire de la violence à leur encontre.

C'est The Iron Wall', de Mohammed Alatar qui a ouvert le festival. Un film on ne peut mieux choisi, cinquante-deux minutes d'information, pour comprendre dans la continuité, depuis les années 20, le projet de la conquête de terrain par les premiers sionistes et les colons d'aujourd'hui qui ont matérialisé le mur de fer de Jabotinsky, idéologue du Likoud. Plus de 200 colonies disséminées en Cisjordanie rendent impossible la constitution d'un territoire palestinien continu. La construction du Mur de séparation leur donnent un caractère permanent et créent un système d'apartheid.

De nombreux films (Bilin My Love de Shai Carmeli Pollak, In Working Progress, de Guy Davidi et Alexandre Goetschmann, Le dernier printemps à Abou Dis d'Issa Freij…) sont des témoignages sur le Mur de séparation et la résistance à son édification. Officiellement destiné à protéger les colonies d'éventuels attentats, il sert en réalité à créer de nouvelles implantations israéliennes.et sépare avant tout les Palestiniens des Palestiniens, en violation de la législation internationale (condamnation d'Israël par la cour internationale de justice de La Haye, le 9 juillet 2004 et ratifiée le 20 juillet par l'assemblée générale de l'ONU).

Centrale également, la situation de blocus à Gaza avec ses 1,4 million d'habitants confinés dans une zone de 360 Km2. Complètement coupée de la Cisjordanie et d'Israël, Gaza a subi le plus gros des assauts militaires israéliens, malgré le démantèlement des colonies juives et le retrait israélien en août 2005 (Rafah : chronique d'une ville de la Bande de Gaza de Stéphane Marchetti et Alexis Monchovet, Gaza, Another Kind of Tears de Abdel Salam Mohammed Shehada). Un retrait qui ne signifie pas la fin de l'occupation puisque les Palestiniens n'ont pas le contrôle de leurs frontières et que Gaza, déclarée « zone hostile » par Israël connaît une situation de catastrophe humanitaire sans précédent.

D'autres films s'attachent à la situation des enfants avec une expérience très intéressante de conseil des enfants donnée à voir dans Iltizam (Engagement) de Philippe Teissier. Ou encore l'expérience de création et de résistance du Théâtre de la liberté de Jénine, Freedom Theatre de Juliano Mer Khamis qui montre que l'art peut être le moyen de retrouver l'espace de rêve et d'imaginaire nécessaire à leur reconstruction et leur projection dans l'avenir.

Très remarqué, le film de Samir Abdallah, Après la guerre c'est toujours la guerre, qui suit une délégation française de soutien à la résistance libanaise à Beyrouth, dès les débuts de l'agression israélienne de 2006. Il retrace la naissance du journal El Hakhbar (Les nouvelles) fondé par Joseph Samaha, et effectue une enquête sur le million de bombes à fragmentation qu'Israël a larguées au Liban sud. Le film montre que la guerre israélienne n'était pas seulement dirigée contre le Hezbollah mais contre la société libanaise toute entière et qu'elle voulait chasser durablement la population des villages et des villes. C'est cette population en résistance d'un bout à l'autre du pays qui est donnée à voir.

On ne peut tenter de parcourir ici une cinquantaine de films, riches, percutants, touchants, dérangeants, mais on notera que la nouvelle génération de cinéastes palestiniens est aujourd'hui particulièrement active, malgré des moyens techniques et humains largement insuffisants. Ce qui facilite leur travail, c'est la petite caméra numérique très mobile qui permet de filmer toutes les situations et où l'on obtient de la très bonne qualité. Pratiquement tous les films envoyés au festival sont en Dvcam ou des DVD de très haute qualité.

Le rapport de cette génération à l'espace et au temps a changé. Sa vision des choses est conditionnée par le rétrécissement graduel de l'espace et du temps qu'entraîne l'occupation, car elle est née et vit dans un monde fragmenté par des barrières, entrecoupé de barrages. C'est une réalité permanente et pesante, celle des check points, du harcèlement et de la brutalité des soldats, des enfants qui traînent dans la rue ou lancent des pierres… contre laquelle vient se mettre en place le concept de « sumud », tenir bon, la capacité à développer toutes les techniques de résistance même dans les pires situations d'humiliation.

Il y a peu de fiction cette année comparé aux années précédentes, l'état d'esprit n'étant pas à la fiction mais au documentaire. Pour faire de la fiction, il faut un minimum d'espoir, de liberté or il y a une urgence à témoigner de la situation dramatique qui est vécue sur le terrain.

Le cinéma israélien, qui a commencé à aborder le conflit israélo-palestinien à la fin des années 70, reste aussi ici un acte de résistance contre l'occupation israélienne des territoires palestiniens, un cinéma fait par des cinéastes qui sont aussi des citoyens engagés et montre ce que la société israélienne ne veut pas voir. Ainsi Tamar Goldschmidt qui filme la vie quotidienne des Palestiniens sous l'occupation et avec To pass an éléphant through a needle's eye montre, en temps réel, une journée au barrage de Beit Ibba qui enferme Naplouse

Face à un tel panorama, l'interrogation « que peut-le cinéma ? » qui inscrit la manifestation dans une continuité et fait référence à l'ouvrage de Janine Euvrard (1) pourrait sembler dérisoire mais comme le précise cette dernière : « Il ne s'agit pas de demander au cinéma ce que seul le politique peut accomplir mais le cinéma travaille sur les représentations et en ce sens il peut beaucoup…. Parce qu'il amène à regarder l'autre société et qu'il met en scène la relation à l'autre, le cinéma est en soi un instrument politique qui peut contribuer à faire tomber les barrières… C'est aussi un des rares milieux où Israéliens et Palestiniens travaillent ensemble même s'il est devenu de plus en plus difficile pour les réalisateurs israéliens et palestiniens de se rencontrer, Gaza étant totalement bouclé, Ramallah, difficile d'accès et les rencontres devant venir de la  part des Israéliens, car pour les Palestiniens c'est impossible. »

Pour elle, on ne peut plus aujourd'hui employer les mots «dialogue» ou «paix», «c'est indécent». Mais les rencontres entre les deux parties existent encore, et de ce point de vue le cinéma reste un formidable vecteur d'échanges. Le festival n'est pas une utopie, il consiste à être une passerelle, à offrir une plate-forme pour que les cinéastes se rencontrent, transmettent une expérience et débattent avec leurs films. `

Pour le public, c'est une occasion rare d'être immergé dans des situations sur lesquelles il y a peu d'images et qui rendent les réalités plus proches et plus concrètes. Le cinéma devient alors un instrument pour prendre pied dans le monde.

 Marina Da Silva


(1) Israéliens, Palestiniens, que peut le cinéma ? est la suite écrite du festival « D'ici et d'ailleurs, Israéliens et Palestiniens, que peut le cinéma ? » que Janine Halbreich Euvrard a organisé en 2003 à Paris. En 1975, elle avait réalisé à Royan, le premier Festival du Film du tiers-monde et des minorités. Et en 1976, la toute première rencontre européenne entre cinéastes palestiniens et israéliens.



back to article list
mayoco: manage your content    page created by mayoco: manage your content